Clap de fin pour la taxe d’habitation. 2023 signe l’aboutissement de la réforme de la fiscalité locale emblématique du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Mais cette disparition complète du principal impôt local des communes laisse de nombreuses inconnues. Revue de détail avec plusieurs experts des finances locales.
Depuis le 1er janvier 2023, la taxe d’habitation sur les résidences principales a définitivement été supprimée pour l’ensemble des contribuables. Créée en 1791 par la Constituante, la taxe d’habitation est le deuxième impôt local remontant à l’Ancien Régime faisant partie des « quatre vieilles » à disparaître.
Promesse d’Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle de 2017, la fin de la TH a été acté dans la loi de finances pour 2020. Depuis ce vote de la réforme de la fiscalité locale au parlement, 80 % des foyers fiscaux ne payaient déjà plus la taxe d’habitation. Pour les 20 % restants, l’allègement s’est fait en deux ans avant sa suppression définitive cette année.
Malgré l’opposition unanime à l’époque des associations d’élus locaux et des collectivités, l’exécutif avait tranché pour une compensation par le transfert intégral de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) aux communes et la mise en place d’un coefficient correcteur pour permettre une « compensation à l’euro près » commune par commune. De leur côté, les intercommunalités et les départements ont reçu une fraction de TVA.
Fin de l’impôt résidentiel
C’est un bouleversement historique de la fiscalité locale mettant fin à l’impôt résidentiel universel (1) et faisant reposer la part la plus importante de l’impôt communal sur les propriétaires. Les recettes de la TH sont passées de 23,9 milliards d’euros en 2020 à 2,8 milliards d’euros pour l’Etat en 2021. Et elle ne représente plus qu’environ 3% des recettes fiscales des communes avec la persistance de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires.
Or, pour Claire Delpech, responsable « finances et fiscalité, habitat » à Intercommunalités de France, le chantier est resté au milieu du gué. « On a évacué de façon un peu rapide la fin de la TH », estime-t-elle en pointant par exemple la non refonte de la fiscalité sur les logements vacants et résidences secondaires. En effet, malgré des adaptations techniques depuis le vote de la suppression sur les compensations pour la construction de logements sociaux, sur les modalités de compensation de la taxe d’habitation pour certaines communes membres d’un syndicat de communes après la décision du conseil constitutionnel ainsi que sur les dérogations au non remboursement des hausses de taux de TH entre 2017 et 2019, certains irritants persistent.
« La fiscalité locale ce n’est pas un mécano c’est un mikado. Quand on enlève quelque chose on ne sait pas ce qui va tomber derrière », aime à rappeler Thomas Eisinger, professeur associé en gestion financière et management des collectivités à Aix-Marseille Université.
Perte de lien fiscal entre les habitants et le territoire
Parmi les principales critiques, les spécialistes de la fiscalité locale pointent trois grandes faiblesses : la perte de lien entre les contribuables et leur commune, l’acceptabilité de la réforme par les contribuables sur la durée et la répartition de la taxe foncière avec le coefficient correcteur.
« Je ne vois pas comment, durablement, une démocratie locale peut fonctionner sans une relation entre l’élu et le citoyen contribuable », note Eric Julla, directeur de Ressources consultants finances. « Les locataires deviennent des sortes de passagers clandestins dans le financement des services publics locaux », complète Claire Delpech. Le problème est particulièrement prégnant dans les grandes villes où la part de propriétaires représente parfois bien moins de la moitié des habitants.
L’émergence d’une minorité de citoyens propriétaires potentiellement sursollicités, c’est le révélateur d’un système fiscal qui « cache le diable dans ses principes », selon la formule de Luc Alain Vervisch, directeur des études de La Banque postale. Au point qu’en 2020, il redoutait « une augmentation de la pression fiscale en milieu urbain » avec pour conséquence potentielle, une réduction imposée par voie législative, comme ce fut le cas pour la taxe professionnelle. Ainsi projetait-t-il : « le maintien du pouvoir de taux pour le bloc communal n’aurait donc été qu’une victoire à la Pyrrhus ». Un scénario auquel les collectivités ont échappé de peu lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023.
Ces craintes font anticiper à Thomas Eisinger une suppression future à moyen terme de la taxe foncière sur le foncier bâti. Un scénario plausible si le chantier de l’actualisation des valeurs locatives d’habitation, de nouveau reporté de 2 ans lors du PLF 2023, n’aboutit pas.
Manque de dynamisme fiscal pour investir
L’autre scénario en cas de sagesse fiscale des élus face aux taux de taxe foncière déjà très élevés dans certaines collectivités pourrait être « une forme de fossilisation des services publics locaux », alerte Eric Julla. Il s’inquiète de l’impossibilité d’augmenter, dans certains territoires, la ressource fiscale au delà du dynamisme des bases, alors qu’un besoin de services publics supplémentaires se fait sentir.
« C’est un problème énorme parce que, particulièrement dans les deuxièmes couronnes des métropoles, la fiscalité locale était faible car le décollage des services publics allait venir », ajoute-t-il. Maintenant que le besoin de services publics grandit dans ces villes, il craint que le dynamisme de leurs ressources soit trop limité pour faire les investissements nécessaires. « Si une commune augmente ses services publics, il est légitime que les habitants paient un impôt plus important que quand il n’y avait pas de service ».
Le souci est le même avec la cristallisation des fractions de TVA versées aux EPCI. « Il n’y a aucune raison que des EPCI qui avaient zéro taxe d’habitation pour diverses raisons restent indéfiniment avec zéro fraction de TVA », indique Luc Alain Vervisch.
Au delà de la cristallisation des compensations, la réforme fiscale pourrait entrainer des non compensations. Le directeur des études de la Banque postale s’inquiète par exemple du cas des résidences secondaires temporaires qui ne sont que l’anticipation de la résidence de retraite. « Le jour où elles se transforment en résidences principales, la THRS disparait sans aucune compensation pour les communes », avertit-il.
Coefficient correcteur
L’autre vice caché concerne la durabilité du coefficient correcteur. En ayant voulu fossiliser la fiscalité locale par une « compensation à l’euro près », le gouvernement a été obligé de créer le fameux « coco » pour garantir la neutralité du remplacement pour les communes de la taxe d’habitation par la taxe foncière. Or, ce choix a pour conséquence un transfert de charge d’un territoire à l’autre, des territoires le plus souvent ruraux à d’autres plus urbains.
Ce mécanisme engendre une perte de « territorialité » importante des impôts locaux selon une étude de l’institut des politiques publiques. A la suite de la réforme, 9% du produit total de TFPB ne seraient pas alloués au territoire sur lequel la recette a été prélevée. Un problème pour Claire Delpech : « les territoires qui ont un coco inférieur à 1 voient partir la moitié des bénéfices de leur politique foncière vers d’autres territoires. Alors qu’au contraire, ceux qui ont un coco supérieur à 1 bénéficient du dynamisme d’autres territoires ». Les communes sur-compensées seront d’autant plus pénalisées que « parfois les évolutions des bases sont totalement indépendantes des stratégies locales (actualisation des bases, régularisation et reclassification des locaux…) », rappelle Luc Alain Vervisch.
L’autre inquiétude est le besoin d’une participation financière supplémentaire de l’Etat pour équilibrer le coco. En 2021, une étude de la DGFiP estimait à 581 millions d’euros le montant de cet abondement.
« L’erreur qui a été faite, c’est de vouloir que l’instrument fiscal atteigne plusieurs objectifs. On cherche avec lui à réallouer de la fiscalité locale entre différents échelons territoriaux et à gérer les compensations », analyse Brice Fabre, économiste à l’Institut des politiques publiques et auteur de l’étude.
Pas de fiscalité du XXIe siècle
Le regret de beaucoup d’experts des finances locales est une fois encore l’absence d’invention d’une fiscalité locale du XXIe. « L’imaginaire fiscal des territoires est en panne », note dans une tribune au site Telos, Martin Vanier, professeur d’aménagement et urbanisme à l’École d’urbanisme de Paris. Il critique des « bricolages auxquels sont cantonnés les territoires depuis trop longtemps » et souligne que « les ressources fiscales des collectivités locales sont largement basées sur les logiques dont elles prétendent s’extraire (l’urbanisation extensive, la croissance de la circulation automobile et celle des surfaces commerciales de la grande distribution) ».
« On a considéré le sujet uniquement comme un sujet technique alors que c’est hyper politique », regrette Thomas Eisinger. Luc Alain Vervisch n’en perd pas cependant son optimisme. « Les réflexions conjointes récentes entre le Sénat et la Cour des comptes, le réseau des finances locales d’Intercommunalités de France et les nombreux écrits de spécialistes sont des signes positifs qui montrent que le débat n’est pas enterré. Mais peut être que je ne le verrai pas en tant qu’observateur professionnel de l’action local mais en tant que citoyen retraité ».
Ce qui est sur c’est que pour le moment la remise à plat de la fiscalité locale incantée par beaucoup de personnalités politiques dans les discours est dans les faits totalement absente des programmes et des objectifs. Les envies de grand big bang de la fiscalité locale dans les têtes ne réussissent pas à se matérialiser. Surement parce que le risque politique de la création de nouveaux impôts est encore trop important à prendre.
Focus
Une incertitude juridique
Au-delà des des irritants techniques et politiques, Thomas Eisinger questionne la légalité juridique de la différenciation tarifaire par rapport au droit européen depuis la suppression de la taxe d’habitation.
« Sans cet impôt local à vocation universelle, la gratuité ou le tarif préférentiel offerts aux résidents, dans les cantines ou les écoles de musique, pourraient s’apparenter pour le droit européen à une forme primaire de discrimination ou de clientélisme car budgétairement il n’y a plus aucune justification. Ils n’empêchent plus les comportements de passager clandestin », explique le professeur associé de l’Université Aix-Marseille Université.